Architecture baroque brésilienne : deux églises de Rio de Janeiro

L'église de Sao Pedro dos Clerigos avant sa démolition.

Les églises de Nossa Senhora da Gloria et de Sao Pedro dos Clerigos à Rio de Janeiro

Si la ville de Rio de Janeiro est généralement associée à sa relation particulière entre son tissu urbain (la composante de ses espaces aménagés et bâtis) et son cadre naturel, l'importance de l'architecture coloniale qui y fut produite, bien que limitée par des démolitions successives, ne peut être occultée.

L'importance stratégique de la ville (l'un des débouchés de la "route royale" qui permet l'accès aux mines du Minas Gerais à partir de 1700) puis politique (capitale des colonies brésiliennes à partir de 1763 et même capitale d'Empire à partir de 1808) a justifié la réalisation de travaux architecturaux digne de son rang, d'où les influences directes de la capitale métropolitaine, Lisbonne, et en conséquence celles de l'Italie qui était une importante référence dans l'architecture portugaise au début du XVIIIème siècle. Je vais ici évoquer les deux principales églises dont cette influence transparait directement dans leur plan, celle de Nossa Senhora da Gloria et celle de Sao Pedro dos Clerigos, toutes deux attribuées généralement au même architecte, José Cardoso Ramalho, même s'il existe des doutes sur l'auteur de la première construction[1].

[1] Certains pensent que le fondateur du sanctuaire, Antonio Caminha, en serait l'architecte. Bazin exprime ses doutes quant à l'attribution de l'église à l'un comme à l'autre (voir Germain Bazin, L’architecture religieuse baroque au Brésil, Paris, Plon, 1956, tome I, p.215).

Les extérieurs des églises de Nossa Senhora da Gloria et de Sao Pedro dos Clerigos.

Leur point commun qui frappe immédiatement l'observateur est l'expression directe de leur plan en façade. Il s'agit de l'une des caractéristiques de l'architecture purement baroque, en excluant donc les effets suscités par les diverses ornementations possibles (dont les pays ibériques en raffolèrent alors). Elle n'est pas directement intelligible car ses effets se jouent sur la perception de plusieurs plans visuels et séquences qui se combinent ensemble pour donner une impression qui se dégage de la réalité extérieure. Cette dissociation entre la réalité du plan et l'impression volumétrique et spatiale qui s'en dégage crée l'atmosphère d'une architecture baroque sans rajout de décors (cependant ces derniers peuvent accentuer voir générer celle-ci, ce qui est fréquent dans l'architecture ibérique).

Gravures montrant le contexte et l'insertion de l'église de Nossa Senhora da Gloria dans le paysage (source : http://acervo.bndigital.bn.br/sophia/index.asp?codigo_sophia=13737; http://acervo.bndigital.bn.br/sophia/index.asp?codigo_sophia=22790)

Projet de passerelle menant à Nossa Senhora da Gloria dans les années 1960, montrant le socle sur lequel est implanté l'édifice (Revista do IPHAN n°16 1968 p.312 fig. 5)

Le contexte urbain de Sao Pedro dos Clerigos (source : http://www.skyscrapercity.com/showthread.php?t=877776)

Cependant, excepté l'attribution de leur auteur et le caractère baroque de ces deux édifices, ceux-ci différent en de nombreux points. Leur situation et leur contexte a conduit à une expression architecturale divergente. En effet, l'église de Nossa Senhora da Gloria est conçue comme un monument qui s'impose élégamment sur les quartiers environnants, comme il sied à un sanctuaire de pèlerinage implanté sur une colline (ou morro). La valorisation de la structure du quadridécagone extérieur, dont les pilastres sont laissés en pierre apparente sur un fond peint blanc et surmontés de pinacles, et le clocher porche (l'un des rares éléments d'influence germanique adopté dans certaines églises de Rio de Janeiro, comme celle-ci ou celle de Nossa Senhora da Lapa dos Mercadores), accentuent l'impression de hauteur et de sveltesse de l'ensemble. Le tout repose sur un socle maçonné, renforçant son importance. L'église de Sao Pedro dos Clerigos, elle, doit s'incorporer dans un tissu urbain dense; son parti est en conséquence plutôt de créer un évènement architectural pour s'en distinguer, en reculant légèrement les façades sur les rues et en affirmant nettement les pilastres en plan en plus du jeu bichrome déjà présent dans la construction précédente.

Plan de l'église de Nossa Senhora da Gloria.

Planche de comparaison entre le plan de l'église de Sao Pedro dos Clerigos et deux églises baroques italiennes sans et avec des tracés régulateurs (rajoutés), tirée de L’architecture religieuse baroque au Brésil de Bazin.

Leurs plans, bien que tous deux baroques, ne présentent pas les mêmes caractéristiques. L'église de Nossa Senhora da Gloria est articulé autour d'un dodécagone à l'intérieur, alors que celle de Sao Pedro dos Clerigos est une combinaison savante d'un plan centré, avec l'adjonction d'une capela-mor (la chapelle contenant le maître-autel) longue suivant les caractéristiques portugaises. Germain Bazin rapproche les recherches liées à ce plan à celui de Sainte-Agnès de Rome. En essayant avec des figures géométriques pures et simples (le cercle et le triangle équilatéral) à reconstituer leurs tracés régulateurs, il est possible de remarquer que les deux édifices s'organisent autour de deux axes, et se définissent par l'intersection de deux triangles marquant les principaux points de leurs plans (pour l'église de Sao Pedro dos Clerigos, le centre des clochers, l'abside des chapelles secondaires, l'amorce de la capela-mor). La principale différence entre les deux consiste en la forme de la croisée du plan ; Sainte-Agnès s'organise autour d'une coupole circulaire, tandis que celle de Sao Pedro dos Clerigos est ovaloïde. L'église de Nossa Senhora da Gloria suit par ailleurs un plan en corridors épousant les côtés du dodécagone intérieur, qui confère une unité d'ensemble à l'édifice et ses dépendances; celle de Sao Pedro dos Clerigos limite les couloirs autour de la capela-mor et les annexes ne sont pas traitées avec le même raffinement que l'église. Ces différences de traitement doivent entre autres s'expliquer par le fait que l'église de Nossa Senhora da Gloria a été commencée vingt ans avant Sao Pedro dos Clerigos (1714 contre 1733); la première est donc le plus ancien édifice religieux à offrir une complexité de plan baroque au Brésil.

Intérieur de l'église de Nossa Senhora da Gloria (sources : http://www.histeo.dec.ufms.br/aulas.php; Patricia Figueira, organisatrice de mariages)

Intérieur de l'église de Sao Pedro dos Clerigos (sources : http://tekhne.zip.net/arch2004-12-19_2004-12-25.html; http://www.upo.es/depa/webdhuma/areas/arte/4cb/pdf/Nelson%20P%C3%B4rto%20Ribeiro.pdf)

Le traitement des intérieurs diffère également d'un édifice à l'autre. Nossa Senhora da Gloria présente une composition très architecturée, composée de pilastres (soulignés par la même technique que l'extérieur) et la voute n'est agrémentée que par des éléments de structure de celle-ci (des arches). Cependant, l'ensemble ainsi créé montre à la fois une certaine grandeur et également un peu de préciosité, renforcée par l'emploi d'azulejos au niveau du soubassement des parois, dématérialisant en partie l'espace, sans rompre avec la rigueur initiale. La forme octogonale allongée de la nef renforce par ailleurs le caractère précieux de la réalisation malgré sa monumentalité. Les autels et les portes, dans un style de transition entre le rocaille et le néo-classicisme, datent de la fin du XVIIIème siècle. Quant à l'église de Sao Pedro dos Clerigos, le plan et le peu d'ouvertures donnant à l'intérieur (un oculus et un lanternon) laisse supposer un ensemble théâtral renforcé par le jeu de lumières.

Eléments subsistant de l'église de Sao Pedro dos Clérigos : la porte d'entrée de l'actuelle église Sao Pedro (source : http://picasaweb.google.com/ivokory/IgrejasTemplosDoRioDeJaneiro#) et détails d'ornementation (source : http://www.itaucultural.org.br/aplicExternas/enciclopedia_ic/index.cfm?fuseaction=artistas_obras_fra&cd_verbete=4029&cd_idioma=28558)

Cependant, il reste assez difficile d'imaginer exactement quelle est l'ornementation au sein de cette réalisation, dans la mesure où elle a été démolie en 1943 malgré une tentative avortée de sauvegarde par déplacement de l'édifice[1] (voir l'article sur la patrimonialisation au Brésil). Seules quelques images en donnent une vague idée. La gravure tirée de l'ouvrage Um Passeio pela cidade de Rio de Janeiro de Manuel de Macedo (p.176) en fait partie ; elle suggère un ensemble traité dans un goût rocaille, avec dématérialisation de la corniche et des éléments architecturaux de la coupole, ce que confirme quelques photographies de celle-ci. Cependant, la lithographie ne remplace pas un relevé architectural, et le dessin semble donner de fausses proportions à la coupole... Le portail, le lavabo de la sacristie et quelques éléments mobiliers ont été déplacés à l'église néo-romane Sao Pedro, toujours à Rio de Janeiro.

Sources des informations, plans et planches: Germain Bazin, L’architecture religieuse baroque au Brésil, Paris, Plon, 1956, tome I, p.215-219 et tome II, p.45 et 54.

Sources des photographies : Bibliothèque nationale du Brésil, et autres sites qui sont donnés avec celles-ci.

[1] Elle consistait à geler le sol des fondations de l'église sur un mètre de profondeur puis de déplacer l'ensemble sur des rondins en béton. Selon les versions, cela a été empêché car l'entreprise contactée ne pouvait garantir l'intégrité de l'édifice lors de cette opération, ou bien pour des raisons financières (Bazin).